C -onstruite entre 2008 et 2009, la résidence Îlet du Centre à Saint-Pierre est une opération de 70 logements qui a pris racine sur les terres de l’ancienne pépinière de la famille Luspot. Aujourd’hui, une forêt de zone sèche témoigne des élans écologiques de ses promoteurs et de l’architecte-paysagiste Michel Reynaud.
Unique et exemplaire en milieu urbain.

«Ici, c’est l’ancienne pépinière de la famille Luspot. Il y avait une grosse pression foncière sur ce terrain bien placé de 4 200 mètres carrés… J’ai proposé à la famille Luspot de faire un projet différent. L’idée était de ne pas aller au-delà de 70 logements et de rester fier d’un projet un peu différent. Avec William et Jean Michel, pionniers de l’endémisme, j’aurais trouvé ça absurde qu’il n’y ait pas une démarche dans ce sens même si je ne suis pas un ayatollah de l’endémisme».
C’est Michel Reynaud qui parle, chapeau vissé sur la tête.
Architecte de formation, précurseur du paysagisme à La Réunion, baroudeur de l’APN, écologiste convaincu depuis une en France naturaliste passée en Bretagne, adepte de l’écologie urbaine, jardinier amateur, il regarde la forêt qui occupe un terrain en cuvette situé en haut de la rue François-Isautier à Saint-Pierre en tournant le dos à un parking sous-terrain.
Écosystème conservatoire
Devant lui, une plantation d’espèces indigènes et endémiques qui constituaient les zones sèches et semi-sèches de l’île avant que l’homme ne vienne imprimer son empreinte sur le paysage. On aperçoit des lataniers rouges, la tête pleine de chlorophylle de bois d’ortie, des bois d’éponge ou des bois puant, sans compter d’innombrables bois de sable.
Entourée des façades bioclimatiques d’un ensemble sorti de terre en 2008 et 2009 conçu pour répondre aux exigences de hautes qualités environnementales, cette forêt de quelques centaines de mètres carrés est unique en son genre en milieu urbain.
Sept ans après les plantations, le lieu fait figure de de conservatoire. Un écosystème qui fournit aujourd’hui bon nombre de semences d’espèces rares aux pépinières sans oublier de générer son propre sol forestier. A l’heure où les espaces verts urbains répondent à des normes de propreté stériles, ici, les feuilles restent à terre en litière pour se composter naturellement, former de l’humus et de générer un sol où des tapis de plantules dessinent des paysages au sol.
Michel Reynaud soulève un gazon de feuilles décomposées, prend une poignée de terre et la renifle à la manière de Claude et Lydia Bourguignon avec le sourire satisfait de celui qui sait qu’ici se joue une partition inédite de l’écologie urbaine. Pas une feuille morte ne sort donc de ce jardin traversé par quelques allées qui distille sa fraîcheur à l’ensemble immobilier.
Cet espace aurait tout aussi bien pu être un parking ou un bâtiment de plus. En lieu et place il affiche déjà ses qualités de paysage forestier naturel, conçu dès le départ pour être sobrement accompagné à la manière d’un Gilles Clément sur un sol correspondant aux conditions d’implantations des forêts primaires.
«On a partout, un mètre à un mètre cinquante de roches sur lequel une mince couche de sol a été ajouté. Il y a de l’air, ce qui plaît beaucoup aux racines des plantes endémiques qui ont besoin de sols jeunes, fracturés, peu évolués comme on peut le voir quand on regarde les forêts dans le Sud, de Saint-Joseph à Mare-Longue », explique Michel Reynaud. Autre élément important, la réalisation d’un impluvium. Un système de collecte des eaux de pluie qui recycle 60 % des eaux pluviales de la résidence en les dispatchant en surface et en-dessous du jardin.
Un appel au calme
Et comment les résidents vivent-ils cet espace exceptionnel ?
Côté rue, au fil de pergolas urbaines peuplées d’espèces exotiques et de palmiers partis pour escalader les étages, les passerelles qui mènent aux appartements sont pour la plupart peu plages de plantes vertes. Signe d’une appropriation des lieux dans un espace dont la fonction transitoire et sociale est d’amener les usagers à différencier les jardins. Une zone mixte qui tire habilement un trait d’union avec le poumon vert qui les attend derrière. Une orée de la forêt. La promesse du beau pays.
Côté jardin, « il y a très peu de dégradations. Les gens viennent s’asseoir sur les roches. Ils sont parfois un peu impressionnés, mais ils sentent que ça a du sens. Ils traversent, ils observent.
Ils apprécient, il y a un beau cadre. Même s’il n’y a pas d’espaces de jeu. C’est un appel au calme », décrit Michel Reynaud.
Un calme généré par le retour des arbres dans la ville. Le retour d’un patrimoine dans l’aménagement domestique.
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Source : Le Quotidien de la Réunion – Vincent PION – Date de parution : 22 Novembre 2015